Et s’il était temps pour nous de (ré)apprendre ce qu’est la souffrance ? C’est-à-dire, et si nous décidions de traverser cette crise sanitaire, planétaire, humanitaire avec l’intention d’en sortir grandis et mieux armés face aux défis de la vie ?
J’ai conscience que je suis en position de privilégiée.
Si elle savait ce que veut réellement dire souffrir, elle ne poserait pas la question d’un point de vue psychologico-philosophique ! Les habitants de Damas, les familles palestiniennes entassées dans des camps de réfugiés, la population indonésienne qui a dû faire face à un nouveau séisme : en voilà qui comprennent la souffrance ! On peut penser aussi au personnel médical des hôpitaux de par le monde, qui déploient nuit et jour des forces surhumaines pour accompagner les malades. La souffrance, ils la portent sur leurs yeux fatigués par les larmes et leurs membres meurtris. Alors, il a bon dos mon article rédigé depuis la chaleur de mon intérieur en paix !
Peut-être que je n’écris que pour une frange minuscule de l’humanité. Celle qui a le temps de lire des articles parce que son seul choix réside entre vin ou tisane, le journal ou Netflix. Parce que, comme moi, sa souffrance est mois criante et par là-même moins justifiée. Ou peut-être que quantifier la souffrance est illusoire. Que l’on peut tous reconnaître que, vécue à des degrés différents, elle n’en reste pas moins dénominateur commun de notre humanité.
En ce premier avril, alors que l’on dénombre près de 885 687 personnes infectées du coronavirus et plusieurs milliers de familles endeuillées dans les quatre coins du globe, une chose est sûre : la souffrance est bien réelle, et chacun l’expérimente d’une manière ou d’une autre. Dans le corps, dans le coeur, dans les pensées, ou sous nos yeux ébahis à lire les chiffres qui gonflent jour après jour. Pour certains d’entre nous, peut-être même que le verre de vin ou la série Netflix viendra révéler une souffrance à taire ou à masquer.
Séditieuse compagne de la vie humaine.
Et s’il était temps pour chacun d’entre nous de réévaluer notre compréhension de la souffrance ? Non parce que nous avons le temps, mais parce que quel que soit le temps elle sera là tout le temps ? Est-ce qu’on la fuit, est-ce qu’on l’attend ? Est-ce qu’on l’accepte par dépit, la redoute avec angoisse, on la met au défi ou on l’enfouit sous le tapis ? Au milieu de notre course à l’activité et à la productivité et au succès le coronavirus vient faire barrière à nos récits culturels du progrès. Ceux d’entre nous qui faisons partie des mieux lotis avons peut-être besoin de voir nos quotidiens chamboulés pour nous rappeler à l’ordre.
Séditieuse compagne de la vie humaine.
Ma vision du monde soutient-elle une réalité dans laquelle, tout en regardant en face la souffrance, je peux néanmoins lui donner du sens ? Question ouverte.
* Photo : Insoutenable douleur de Camila Quintero Franco (Unsplash)